Petite rétrospective
des représentations géopolitiques du monde




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1. La Terre du Milieu
(les premières lectures géopolitiques)
Le monde selon Ratzel et Mackinder 1904-1919 : la prépondérance du "pivot" (heartland) dans les conceptions d'avant la première guerre mondiale ; son hégémonie inéluctable sur la World Island.

L'Allemand Friedrich Ratzel (né en 1844 et mort en 1904) passe pour le précurseur de la Géopolitique en tant qu'auteur, dès 1897, d'un libre intitulé "Géographie Politique". Pharmacien puis zoologiste avant de se convertir à la Géographie puis de devenir général, il est porté à comparer les états à des organismes vivants dont l'évolution des frontières rendrait compte de leur naissance et de leur expansion (puis de leur mort). Il a les préjugés de son temps et distingue notamment les peuples "de culture" (incarnant La civilisation, compte tenu du sens du terme Kultur en Allemand) des peuples "de nature" (sauvages ?) ces derniers guère capables de s'affranchir par une mise en valeur efficace des contraintes naturelles. Influencé par le darwinisme social, il soutient l'impérialisme allemand (en Afrique) en le justifiant sur le plan scientifique par une "anthropogéographie" qui accorde plus d'importance aux populations qu'aux données physiques (relief, climat, etc.) et suscite l'intérêt de tous les géographes (dont celle de Pierre Vidal de la Blache, en France, mort en 1918, qui partage notamment sa conception de l'interaction homme-nature, même si l'Université française oppose par tradition, systématiquement, les deux hommes).



C'est généralement le Britannique Halford Mackinder (1861-1947) d'abord biologiste et zoologue avant de devenir géographe, qui fait figure de véritable fondateur de la Géopolitique, quoique lui-même préférât parler de "géostratégie" en raison de l'intérêt du  régime national-socialiste pour la Geopolitik. Il reprend en partie les théories de Ratzel sur l'espace (le monde vu comme une île globale) et impose définitivement la projection polaire comme étant la meilleure pour cartographier les rapports de force globaux. Convaincu de la supériorité anglo-saxonne et de la mission civilisatrice de la Grande-Bretagne, il enseigne à Oxford où il s'inquière des ambitions allemandes, estimant que la domination des plaines russe et ukrainienne est déterminante dans la constitution d'une hégémonie mondiale. Sa contribution principale est une description ternaire de la planète appelée théorie du Heartland : le Heartland (2/12ème de la surface terrestre) correspond à une "île mondiale" (Europe, Afrique et Asie : Eurafrasie) dont il faut s'assurer de contrôler "le pivot" (Sibérie occidentale et Russie)
pour espérer dominer l'anneau intérieur et donc les relations internationales. Autour du Heartland se trouve un "océan mondial" (9/12ème) puis des îles (Amérique et Australie pour 1/12ème).  

Sa vision montre l'anxiété de la puissance maritime anglaise, devant le risque d'émergence d'une grande puissance continentale (en Eurafrasie). Il élabore une devise calquée sur une formule de Sir Raleigh - pour lequel tenir la mer permettait de contrôler la richesse donc le monde - avec, cependant, l'intention de démentir le grand amiral.

« Qui tient l’Europe orientale tient le heartland, qui tient le heartland domine l’île mondiale, qui domine l’île mondiale domine le monde ».
C'est la domination de l'Eurasie qui est, pour lui,  le fondement de la puissance globale (idée propagée largement à la fin de  XIXème et au début du XXème siècle).



2. La Guerre de l'Anneau
(la nécessité d'un "espace vital")
La  justification des ambitions navales des puissances par les géopoliticiens des années Trente et Quarante et la combinaison Nord-Sud inventée par Haushofer : une importance nouvelle accordée à "l'anneau maritime" ou rimland et l'anticipation d'une probable alliance des puissances maritimes et terrestres contre l'Allemagne par Spykman.

Karl Haushofer, théoricien allemand de l'espace vital (né en 1866 et mort par suicide en 1946) est partisan d'une alliance de l'Allemagne avec la Russie contre les puissances maritimes. Il considère que les grands états doivent conquérir un Lebensraum -
notion déjà présente chez Ratzel- au Sud ; les États-Unis en Amérique Latine, l'Allemagne en Afrique, la Russie en Inde et le Japon en Asie de l'Est et du Sud... Son influence sur les thèses hitlériennes est plus prétendue que réelle, car, malgré son amitié avec Rudolf Hess et l'admiration de certains memebres du parti nazi - dont lui n'est pas membre - le Führer va paradoxalement désigner... le territoire de la Russie ! comme étant celui que l'Allemagne doit absolument conquérir, le IIIème Reich n'accordant que  très peu d'intérêt à l'Afrique, au rebours des recommandations prodiguées par Haushofer.


REMARQUE sur le contexte.
Le thème d'un partage inévitable de la planète entre quelques états mondiaux (global states) présents dans les deux hémisphères n'est pas propre à Haushofer mais est très largement diffusé entre les deux guerres mondiales (voir, par exemple, les regroupements imaginés par Coudenhove-Kalergy dans les années Vingt  - il sera plus tard l'un des précurseurs de l'union européenne).



Dès 1943, Mackinder (décédé en 1947) modifie sa perception en insistant sur le maintien possible d'un équilibre des forces entre puissance maritime et continentale.
Les géopolitologues issus des États-Unis, tels que Nicholas Spykman, développent en effet le concept nouveau de Rimland ou anneau intérieur à partir duquel on peut contrôler le pivot ; ce dernier auteur propose une nouvelle lecture des rapports de force qui chamboule la conception traditionnelle, car faisant du contrôle de sa périphérie un enjeu supérieur à celui de la maîtrise du continent ; mais le monde continue d'être décrit comme un archipel (World Island).

« Qui contrôle le Rimland (l'anneau) gouverne l'Eurasie (ou World Island); qui gouverne l'Eurasie contrôle les destinées du monde ».
C'est, pour Spykman, le contrôle de l'anneau  entourant le heartland qui peut permettre l'hégémonie sur le World Island tout entier (thèse émise au milieu du XXème siècle et largement reprise depuis).




3. La Digue
(Une  préfigurations très précoce de la Guerre Froide)
Une posture reposant sur la croyance bien établie des géographes anglo-saxons (c'est, dès 1900 la conviction de l'amiral état-unien Mahan) que l'hégémonie de la puisance continentale n'est pas inéluctable mais qu'elle peut être endiguée (containment) par une politique visant à assurer les équilibres au sein du rimland et à s'y procurer des points d'appui.

Spykman (1893-1943) est un auteur américain et le disciple de l'amiral états-unien Mahan (1840-1914) premier théoricien de "la puissance maritime" - voir le planisphère en haut de page. Il distingue trois différents types de pays et de localisation d’un point de vue sécuritaire, repèrant des pays enclavés, qui ne sont donc délimités que par des frontières terrestres (ces états doivent faire face principalement à leurs voisins directs) mais aussi des « Îles-États » (ou Island States, aux frontières exclusivement côtières et dont les tensions se produisent par rapport aux autres puissances maritimes) et enfin des états munis de frontières terrestres et maritimes (qui doivent veiller à étendre leurs frontières sur la mer et sur la terre, tout en se méfiant du pouvoir potentiel de leurs voisins directs ou proches traditionnels). Au delà du Hearland et du Rimland, anneau intérieur, Spykman désigne des continents "off shore" (anneau extérieur).

Spykman insiste sur l'importance de l'anneau intérieur dans les rapports de force mondiaux, affirmant que "la balance du pouvoir et l’équilibre du monde se jouent sur ce bandeau de terre entourant le cœur du continent eurasiatique et ne doivent, en aucun cas, se faire dominer par une seule et unique puissance". Sa thèse anticipe assez directement la doctrine de l'endiguement (containment) telle qu'elle est mise en place après sa mort, durant la Guerre Froide, par le président Truman. Les délimitations de Spykman diffèrent de celles de ses prédécesseurs (si le pivot eurasiatique ou Heartland est conservé, l'anneau intérieur ou Rimland comprend  Europe occidentale, Moyen Orient et Extrême Orient et les continents off shore sont les Amériques, l'Afrique et l'Australie :  constituant ensemble "le croissant extérieur").

La conviction des Géopolitologues états-uniens après le drame de Pearl Harbor et la victoire des alliés, puis ultérieurement, est que les puissances maritimes (essentiellement les États-Unis) doivent se ménager des points d'appui solides dans le Rimland pour contenir l'expansion des empires continentaux (cette vision est durablement diffusée et semble la source d'inspiration essentielle de la diplomatie états-unienne pendant toute la guerre Froide de 1947 à 1991, voire bien au delà). Il s'agit, d'après Spykman d'imposer la paix, non pas en comptant sur l'émergence d'une utopique communauté internationale  mais en mettant en oeuvre une politique étrangère efficace, peu préocupée de morale, en vue de contrôler l'anneau intérieur.



4. Les Cercles
(La mondialisation)
Une lecture concentrique née dans les année 80, quand le monde était encore bipolaire et l'accès de la puissance soviétique aux mers chaudes une éventualité très redoutée. Mais aussi, par ailleurs, une interprétation prophétique des récentes ambitions chinoises (d'après P. Gentelle).

Alors que la géopolitique (dénoncée dès 1954 comme une "pseudo-science" par le savant états-unien C. Hartsorne et regardée avec méfiance dès 1922 par les intellectuels français en raison de la soumission apparente de ses principaux propagateurs aux intérêts allemands) a longtemps été très largement décriée par l'Université - au moins  jusque dans les années 70, moment où Yves Lacoste, en France, met fin au rejet universel de cette sorte d'étude (associée auparavant, dans l'imaginaire collectif, au nazisme) - elle suscite depuis lors un regain d'intérêt.
 
A la fin du XXème siècle, elle inspire une vision nouvelle, toujours concentrique mais plus complexe, du World Island, ajoutant au Heartland, assimilé à la puissance continentale et localisé en Europe orientale et Russie, et au Rimland (la puissance maritime ou anneau intérieur limité en gros.. aux pays de l'OTAN et à l'Europe occidentale) : un triple anneau maritime extérieur  (une ceinture intertropicale fragile : le Tiers Monde!  et, au delà,  une anneau sous-développé et pauvre puis, très loin, un anneau austral développé).
Gérard Chalian et Jean-Pierre Rageau proposent une interprétation cartographique de cette évolution dans leur atlas, publié en 1983.

Pierre Gentelle formule en 2000 une théorie de l'organisation territoriale de la Chine qui semble avoir rétrospectivement valeur prédictive, compte tenu des ambitions affichées aujourd'hui par le Président Xi Jin Ping et de ses annexions unilatérales en Mer de Chine méridionale : un bon exemple de géopolitique régionale.


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