3 - Le système politique de la France depuis 1946 : Un état, des  gouvernements et une administration partagés entre conservation des héritages, désirs de réforme et contraintes extérieures

prise de notes

Comment la France de la Libération utilise l'argent des Etats-Unis (le plan Marshall) pour financer une reconstruction largement inspirée par le Socialisme, sinon par le modèle... soviétique !

A - Un état de Droit à reconstruire

A1 -  Le GPRF dirigé par Charles de Gaulle doit d'abord prouver sa légitimité, comme le Général lui même entend montrer  qu'il incarne la France et parle en son nom (lui, auquel certains officiels des Etats-Unis ont reproché durant la guerre de "se prendre pour Jeanne d'Arc" et qui n'a été élu par personne, même si, grâce à l'action de Jean Moulin, la Résistance intérieure l'a reconnu comme son chef, ce qui en a fait le leader incontesté de la lutte contre l'Occupant, en métropole comme outre-mer).

- Il lui faut, dans un premier temps, être reconnu par la communauté internationale. L'accueil délirant fait par les Parisiens à Charles de Gaulle en juin 1944  amène enfin les Etats-Unis à  reconnaître officiellement le GPRF comme le gouvernement légal de la France.  Les autres pays étrangers  l'avaient fait plus tôt, considérant notamment le ralliement unanime des fonctionnaires et des autorités au fur et à mesure de la libération du teritoire métropolitain.

- La légalité de son pouvoir étant affirmée, il lui faut ensuite s'imposer comme le détenteur d'une autorité  incontestée. Le général de Gaulle commence par refuser de proclamer la République au balcon de l'Hôtel de Ville : il  ne reconnaît pas  l'existence "l'Etat Français" (le nom pris par l'Administration sous la dictature assumée par Pétain depuis Vichy) à ses yeux régime "nul et non avenu" - négligeant délibérément  le fait que c'est le parlement qui a investi Philippe Pétain. Charles de Gaulle  affecte de considérer qu'il a assumé la continuité de l'Etat de 1940 à 1945.  Il fait donc office à la Libération de chef du gouvernement (et, sans en avoir le titre, de chef de l'Etat) alors qu'il n'a pas été désigné lui même par un vote démocratique. Le GPRF et son chef  parlent au nom de la France, édictent des lois, nomment les fonctionnaires et leur donnent des instructions, sans rencontrer d'opposition sérieuse, car ils sont soutenus par les partis politiques et l'opinion publique.

- Le GPRF doit démontrer également que son pouvoir est d'essence démocratique. Charles de Gaulle, ostensiblement  soutenu par les forces issues de la Résistance (partis, syndicats, mouvements)  met en application (par des ordonnances) le  programme  du CNR, très "à gauche" (nationalisations, création de la Sécurité Sociale, vote des femmes, etc.) estimant qu'il faut répondre au désir de révolution sociale des Résistants tout en maintenant l'ordre (et jugeant habile de "couper l'herbe sous le pied" du PCF).

A2 - Une rapide phase de transition vers un pouvoir légal pérenne et la restauration de l'ordre républicain sont assurés par le général de Gaulle. Rétablissant les libertés publiques suspendues par Vichy, il entend par là rendre son rang au pays.

- Dès la Libération, Charles de Gaulle  impose une épuration judiciaire pour mettre fin le plus vite possible à l'épuration spontanée et à ses excès (femmes tondues, exactions diverses) puis il ordonne le désarmement des milices patriotiques  (les Résistants qui désirent combattre l'ennemi conservent leurs armes mais sont incorporés dans l'Armée régulière). Ses obssessions sont la participation de la France à la défaite allemande et le maintien de  l'unité nationale, l'Etat retrouvant le monopole des pouvoirs régaliens malgré les rancoeurs de certaines des "milices patriotiques" dissoutes à son initiative.

-  De Gaulle
 organise rapidement des élections libres, escomptant qu'une majorité se dégagera pour soutenir son action. Il opte pour un mode de scrutin proportionnel par département (pour éviter un raz de marée communiste, prévisible en cas d'adoption du scrutin majoritaire uninominal)  et couple l'élection législative à un référendum sur le choix entre un retour aux institutions de la Troisième République et l'adoption d'une nouvelle constitution (cette dernière solution emporte une large adhésion de la part des électeurs et électrices - les femmes votent pour la première fois).  L'assemblée élue en 1945 est, par le choix des Français, une assemblée constituante : elle accorde à l'unanimité sa confiance au gouvernement présidé par Charles de Gaulle, qui  obtient que la France soit reconnue comme puissance victorieuse et qu'elle joue un rôle de premier plan dans la nouvelle organisation du monde (FMI, ONU, etc.).

A3 -  Malgré son immense popularité et le prestige dont il jouit, Charles de Gaulle ne parvient pas à imposer "sa vision" de ce que doivent être les institutions de la France. Il s'oppose aux formations dominant la scène politique, qui souhaitent toutes un retour au parlementarisme intégral, quand lu voudrait renforcer l'Exécutif.

 Le Tripartisme s'impose en effet entre 1945 et 1947. Socialistes de la SFIO et communistes (PCF) recueillent les uns et les autres  un quart des suffrages et sont, ensemble,  majoritaires en voix comme en sièges. Avec leur allié du MRP (Mouvement Républicain Populaire issu de la Résistance démocrate-chrétienne, organisée en France dans un parti non confessionnel) la majorité de gauche et du centre est soutenue par près de 80% des suffrages.  Elle ne veut pas entendre parler d'un exécutif fort et provoque par ses chicanes la démission du chef du gouvernement en janvier  1946. Le socialiste Felix Gouin lui succède pour quelques temps, mais il se retire  après le rejet d'un premier projet de constitution, monocaméral, en avril.

- Les projets des Constituants indisposant Charles de Gaulle, il entreprend - en vain - de faire adopter ses propres théories,  s'adressant directement aux Français pour demander, (notamment dans son fameux discours de Bayeux, prononcé en Juin 1946)   la mise en place d'un régime inspiré de loin par le modèle américain, doté d'un parlement à deux chambres et qui serait incarné par un chef de l'Etat désigné par  un collège de grands électeurs très élargi.- La Constitution de la IVème République, adoptée en Octobre, ne tient guère compte de cette préconisations même si elle établit le bicamérisme. Charles de Gaulle fonde alors le RPF (Rassemblement du peupe français) en 1947,  mais, si ce nouveau parti emporte immédiatement les élections municipales,  ce succès spectaculaire est sans lendemain : le "mouvement" gaulliste, opposé à la IVème République,  est très rapidement marginalisé. Ses cadres trahissent bientôt la consigne du général de ne participer à aucun gouvernement ; son chef  le dissout en 1953 pour entamer une longue et amère "traversée du désert"

B - Un consensus initial sur le recours  au Dirigisme économique et une Reconstruction efficace, réussie... par une IVème République paradoxalement décriée (1946-1958)

A 1 Reformulation :
un consensus fondé sur le programme du CNR et la domination électorale des Gauches et du Tripartisme / un Dirigisme économique défendu par le PCF et la SFIO mais vu  à Droite comme un expédient provisoire (le contrôle des prix est maintenu dans les faits jusqu'aux années 80, les privatisations datent de 1986 puis des années 80) / Une reconstruction fondée sur des plans quinquennaux incitatifs

A 2 Une constitution adoptée dans la douleur (malgré l'opposition du général de Gaulle au "régime des partis") et qui sera assez mal appliquée

A3  Une république parlementaire devenue de facto un régime d'assemblée (double investiture et renoncement au droit de dissolution, grande instabilité gouvernementale, quelques dirigeants seulement sont populaires, ce sont essentiellement : Antoine Pinay et Pierre Mendès-France).

A4 Un bilan contrasté : réussites économiques et sociales mais bilan politique mitigé (atlantisme, intégration européenne, mais impuissance à décoloniser sans heurts et faiblesse du leadership).

B - Une crise de institutions qui débouche sur la fondation d'une Vème République semi-présidentielle atypique : une régime hybride qui donne la primauté à un exécutif bicéphale (1958-2018)

B1 rappel sur les deux modèles : parlementaire et prédidentiel
La responsabilité du gouvernement devant la représentation nationale caractérise le système parlementaire (système britannique) mais ce dernier nécessite, pour être équilibré, que le droit de dissolution soit effectif.
L'élection du chef de l'Etat et du parlement par le peuple, et la stricte séparation des pouvoirs est typique du régime présidentiel (modèle américain) dans lequel l'Exécutif se confond avec le Président (entouré de collaborateurs appelés secrétaires plutôt que ministres).

B2 de Gaulle, fondateur de deux républiques
Le général de Gaulle est tout à la fois le premier et le derniers des chefs de gouvernement de la lVème République, élu à l'unanimité à la Libération, mais contraint de transiger les Socialistes pour être investi légalement en 1958.
Désireux d'éviter à la France d'être faible sur la scène internationale et instable au plan gouvernemental, de Gaulle rêve d'un pouvoir exécutif renforcé et souhaiterait notamment que le Président ne soit pas élu par le seul parlement.
Plutôt favorable à une évolution vers le régime présidentiel il est en butte à l'hostilité des partis politiques qui le soupçonnent d'aspirer au pouvoir personnel et se tient "en réserve" de 1947 à 1958. Il doit s'engager à conserver le principe de la responsabilité du gouvernement devant le parlement afin d'obtenir le soutien de la SFIO (une moitié de ses députés refuse le marché et le parti socialiste vole en éclats).

B3 l'hypothèque algérienne
L'incapacité des gouvernements de la IVème République à se faire obéir en Algérie (tant par l'Armée que par les Français d'Algérie, majoritairement opposés à toute solution négociée) favorise une déstabilisation de l'Afrique du Nord qui conduit Guy Mollet à y envoyer le contingent en 1956. Les "événements d'Algérie" deviennent dès lors une véritable guerre  (bien que n'en portant pas officiellement le nom) dont le général de Gaulle considère que le coût économique et politique fragilise la puisance française.
L'insurrection de l'armée, émue par la perspective de voir un président du conseil modéré (Pierre Pfilmim) prendre les rênes du gouvernement et le suspectant d'être prêt à "brader" le territoire est l'occasion saisie en mai 1958 par les Gaullistes pour obtenir le retour au pouvoir de l'ancien chef de la France Libre. Beaucoup de Français considèrent que "le général" est seul capable de rétablir l'ordre et de maintenir l'unité nationale (mais le général de Gaulle se laisse aller à promettre à demi-mot en 1958 de garder l'Algérie française, alors qu'il propose assez rapidement l'auto-détermination aux habitants, provoquant un nouveau putsch des généraux en 1961).   


B4 de la constitution de Michel Debré au Quinquennat
La constitution de la Vème République est hybride et décrite comme "semi-parlementaire" puisque le gouvernement et son chef (le premier minitre) peuvent être renversés par "une motion de censure. Mais la réalité du pouvoir exécutif appartient par ailleurs au Président de la  République, élu par un collège de 80 000 électeurs et susceptible de faire trancher certains problèmes par un référendum populaire.
Dans la pratique, le Parlement est tenu en lisière car il ne dispose ni de son agenda ni de la pleine initiative des lois (dont neuf sur dix viennent tout au contraire du gouvernement) et qu'il peut même être contraint à les voter sans avoir pu en discuter (recours à l'article 49-3 ou aux ordonnances au prétexte d'une urgence que seul l'Exécutif peut apprécier).
L'évolution des institutions (24 révisions constitutionnelles de 1958 à 2004) et de leur pratique a ostensiblement renforcé le Président, élu au suffrage universel depuis 1962 (une révision opérée par référendum, ce qui n'est pas conforme à la procédure normale, mais plébiscitée par l'opinion) mais les cohabitations (subies par François Miterand puis Jacques Chirac) ont montré son impuissance relative depuis les années 80. Si l'adoption du quinquennat (en 2000)  l'assure a priori de pouvoir disposer d'une majorité très large à l'Assemblée Nationale elle ne garantit pas sa réélection (échecs de Nicolas Sarkozy puis François Hollande).

C - Une prétendue crise de la représentation qui semble devenir plus aigüe au XXIème siècle.

La démocratie d'opinion (ou doxocratie suivant la formule de Jacques Julliard,en 2007) menacerait la démocratie libérale en général et, singulièrement, la Vème République. Où l'impopularité des gouvernants (même fraîchement élus) est souvent très grande.

La Vème République, quoique officiellement "décentralisée" et assez souple pour avoir permis des alternances et d'importantes réformes, est critiquée par certains, qui la jugent inadaptée au nouveau contexte (mondialisation, construction européenne et désir de démocratie participative et locale, invasion des TSI ou outils de la Société de l'Information, nouveaux enjeux globaux). Le slogan de "VIème République" (autrefois porté par le FN, notamment dans la campagne de J-M Le Pen en 1995) reste pourtant nébuleux, recouvrant des revendications formulées plutôt à gauche (Montebourg, Hamon,Mélenchon) mais parfois opposées dans leurs intentions.


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