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Quelles évolutions

culturelles en France sous la Vème République ?

 

2°) Quelques précisions scientifiques

Il ne s'agit pas, sous ce libellé un peu pompeux, de prétendre faire le tour de la question sur le plan historiographique, ni même à proprement parler de " réactualiser nos connaissances " en puisant aux sources universitaires les plus récentes. Plus simplement, je me suis borné à vérifier quelques définitions. Ce qui me permet de vous donner, si tant est que cela soit nécessaire, quelques précisions sur le rapport entre " Culture " et " Civilisation ".

Si, dans nos programmes d'Histoire, la notion de civilisation est particulièrement importante,et se trouve notamment au cœur des enseignements de Première, il est remarquable d'observer que la classe de Terminale néglige totalement cette notion (sauf.. en Géographie !). Le programme d'Histoire de cette classe ne nous invite pas en effet à évoquer des "civilisations" mais à réfléchir, et c'est une proposition pour le moins paradoxale, à l'évolution de modèles (mais il s'agit de modèles " idéologiques " suivant les documents d'accompagnement, lesquels, malgré les références nombreuses aux faits de société tels que l'American Way of Life, ne mentionnent pas la notion de civilisation). Tout au contraire, l'émergence d'une " culture de masse " qui serait caractéristique du second XXème siècle et de la " mondialisation " doit être décrite et expliquée par le professeur. Il est pourtant impossible d'évoquer des faits culturels sans maîtriser au moins implicitement la notion de civilisation . On peut aller jusqu'à considérer, dans un certain sens, qu'il s'agit là d'un prérequis - qui, en principe, a effectivement été assimilé au cours des années de formation antérieures.

Les deux termes - " culture " et " civilisation " - se recoupant partiellement, et la définition de chacune des deux expressions ne faisant pas forcément consensus, on ne peut s'étonner des difficultés de reformulation éprouvées parfois par nos élèves. Je vous donne ici un petit aperçu des principaux problèmes de vocabulaire constatés :

1 Le terme " culture " renvoie en Français à la manière de penser, comme dans l'expression cicéronienne cultura mentis tandis que par le mot "civilisation " on entend généralement une société décrite d'après l'ensemble de ses productions, tant matérielles qu'immatérielles et éventuellement idéologiques.

2 L'acception du terme " culture " fait cependant problème, dans la mesure où, dans la tradition allemande et, un peu moins systématiquement, anglo-saxonne, la culture englobe aussi l'art de vivre (d'où le recours massif à l'étude des formes de culture ou pratiques culturelles pour la définir et la décrire). Selon ce point de vue, culure et civilisation se confondent pratiquement.

3 On a pu dire cependant que culture et civilisation s'opposaient absolument, dans la mesure où le Civilisé est le contraire du Barbare (ici encore, l'étymologie ramène à l'Antiquité, précisément à la cité grecque polis devenue civitas en Latin) tandis que la culture n'est pas forcément différente de la barbarie. Thomas Mann a notamment souligné que l'idée de civilisation impliquait un certain degré de Raison tandis que la culture " peut inclure toute espèce de cruauté". Dans cette acception, le mot "civilisation" est employé génréralement au singulier, c'est une sorte d'idéal.

4 L'emploi du terme " civilisation-s" au pluriel, alors que la Civilisation concerne l'humanité toute entière, désignerait des sociétés et des culture particulières. Les civilisations sont " dispersées dans le temps et dans l'espace " selon le mot de Braudel.

5 Le même auteur insiste sur l'ambiguïté de l'adjectif " culturel " employé en Français à la fois pour caractériser ce qui a rapport avec la culture, mais également ce qui est fait de civilisation (" un adjectif nous manque " déplore-t-il !)

Pour conclure, il faut avoir conscience qu'en interrogeant nos élèves sur les évolutions culturelles, nous leur demandons à la fois de traiter de la culture et, en même temps, de réfléchir à des faits de civilisation,et ceci parfois à partir de sources qui, paradoxalement, assimilent la culture aux arts (cf. les propos de Pompidou).

D'autres équivoques éventuelles peuvent être discutées : qu'entendre, par exemple, par l'expression " politique culturelle ", et pourquoi cette dimension est-elle si essentielle dans un tableau des évolutions culturelles sous la Vème République ?

La forme la plus traditionnelle d'intervention de l'Etat dans le domaine culturel prend sans doute la forme d'un mécénat (une institution comme la "Comédie Française" symbolise cette action de longue durée). Mais les gouvernants se sont aussi de longue date préoccupés de l'instruction de la population, leur intervention ayant pris de l'ampleur avec l'Industrialisation.

Ce n'est, cependant, que très récemment qu'une véritable " politique culturelle " s'est mise en place,  en France notamment. Les grandes ambitions du Front Populaire dans le domaine de l'éducation populaire se sont traduites par une généralisation des subventions et une décentralisation que les technocrates de Vichy comme les hommes issus de la Résistance ont entendu prolonger. C'est pourquoi une "Administration du Théâtre et des Spectacles" a été créée à la Libération. Cette administration dépendait du MEN et a chapeauté notamment la création de cinq centres dramatiques nationaux en province, créé les MJC et le réseau des " bibliobus ". Le "TNP" de Jean Vilar, qui demeura à sa tête jusqu'en 1963, fût aussi créé à Chaillot dès cette époque, en 1951 précisément.

Mais la Vème République se caractérise par une action culturelle plus organisée, durable, maintenue dans ses grandes lignes en dépit des alternances politiques. On peut à bon droit parler de nouveau départ à partir de 1958 (nous le verrons plus en détail ultérieurement) tant la politique culturelle est désormais perçue comme essentielle " au rayonnement de la France ". Le Ministère de la Culture (des affaires culturelles dans un premier temps) est créé. Ses ambitions sont vastes : 
" rendre accessibles les œuvres capitales de l'Humanité, et d'abord de la France, assurer la plus vaste audience au patrimoine " français, et " favoriser la création ". Le théâtre de l'Odéon est alors confié à Jean-Louis Barrault, dont on se souvient des tournées triomphales en Amérique du Sud. La question crûciale, celle de l'indépendance des créateurs, bénéficiaires de subventions publiques, est dès le départ posée : si Malraux défend avec succès contre une partie de la majorité gaulliste, la création jugée scandaleuse du
" Paravent " de Jean Genet, monté à l'Odéon en 1966, il ne peut qu'entériner le veto gouvernemental imposé au TNP en 1968, qui doit renoncer à monter " La passion du général Franco " d'Armand Gatti. De même, le monopole d'Etat concernant la radio et la télévision fait de celles-ci, pendant un quart de siècle, des porte-parole obligés du gouvernement et de son ministre de l'information ("La voix de son maître" pour reprendre un slogan publicitaire détourné).

La constance des politiques culturelles menées et le rapport évident entre celles-ci et les conceptions du fondateur de la République font qu'il est pédagogiquement opportun d'intégrer des références à l'action des pouvoirs publics dans le domaine culturel à un cours sur la Vème République.

Autre problème, l'usage de formules telles que " contre-culture " ou " culture jeune " : que recouvrent de telles expressions, sont-elles synonymes ? Et dans quelle mesure faut-il expliquer par la modernisation de la société cette émergence des " jeunes " ?

Le développement des moyens de communication (baptisés à présent médias) a amplifié le phénomène de constitution d'une catégorie (sociologique ? ce n'est pas du tout certain) nouvelle : les " jeunes ". Leurs effectifs sont importants et en forte croissance dans la première partie de la période traitée (en 1963, un Français sur trois est jeune) d'où le succès des émissions et des périodiques produits à leur destination (50 000 exemplaires de " Salut les Copains " sont tirés pour le premier numéro de la revue en juillet 1962, plus d'un million pour les numéros parus dans l'année civile suivante). A l'effet du baby boom s'ajoute l'allongement du temps scolaire qui étire la jeunesse dans la durée (la loi Berthoin fixe en 1959 le terme de la scolarité obligatoire à 16 ans, l'année même où l'on décide de ne plus construire que des lycées mixtes). La spectaculaire amélioration du niveau de vie, après les privations du second conflit mondial, crée en outre un fossé entre les générations, au moment où la ruralité décline irrémédiablement et où une certaine libéralisation des moeurs s'accomplit. C'est le caractère massif de ce mouvement culturel qui est nouveau (les années 50, déjà, avaient eu leurs " blousons noirs " rebelles à l'ordre établi) comme, à long terme, le plein succès de la contre-culture juvénile des années 60 , malgré l'épuisement de la contestation dans le courant des années 70..

Aujourd'hui et durant les toutes dernières décennies de la Vème République, on ne relève plus l'existence de cette contre-culture jeune typique des années 60-70. L'impression de " crise " (intergénérationnelle notamment) étant censée caractériser la société moderne d'un point de vue sociologique, l'adoption d'attitudes plus soumises ou conformistes par les nouvelles générations est parfois expliquée par l'entrée dans un contexte nouveau (post-moderne ?) ou dominerait une culture " de la quotidienneté ", dans laquelle la confiance dans le Progrès et la Raison déclinerait, l'attachement aux Libertés relèverait du pur formalisme, la culture serait perçue comme un phénomène de mode : c'est là une vision peut-être pessimiste, et un tableau en tout cas difficile à appréhender pour qui ne serait pas un spécialiste de l'Histoire du Temps Présent ou un féru de sociologie ; néanmoins on peut retrouver des descriptions de ce type, par exemple en ECJS, quand les élèves s'intéressent (spontanément ou à notre invite) au "jeunisme" d'aujourd'hui ou à l'uniformisation apparente du monde (voir notamment un billet d'humeur particulièrement percutant du Canard Enchaîné sur "L'adolescent International").. Winock évoque un déclin de l'influence des jeunes dans la société, et attribue leur recul démographique aux succèsdes comportements nouveaux défendus par les adolescents contestataires des années 60 (contraception, etc..). Sans doute faudrait-il plutôt signaler les contours devenus de plus en plus fous de "la jeunesse" : ne parle-ton pas de jeunes adultes, jeunes séniors et jeunes retraités ? L'uniformisation des modes de consommation juvéniles ne s'étend elle pas à l'ensemble des générations ?

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